A la mémoire des paysans d'hier et,
en particulier, à la mémoire des
vieillards familiers de mon enfance
dont les souvenirs touchants,
caustiques ou douloureux se lient à mes premières impressions
et
observations, ce livre est dédié.
« Sans désirs coûteux,
Sans envie
Vivre tout simplement sa vie,
Mais la garder inasservie. »
La publication de
La vie d’un simple,
par
Émile Guillaumin, en 1904, fut un événement à la fois littéraire et
sociologique. Pour la première fois, en effet, un paysan accédait à la
littérature et consacrait un roman à sa propre culture.
La vie d’un simple,
salué par Octave Mirbeau et Lucien Descaves, connut un succès
exceptionnel. Si exceptionnel et si étrange que Daniel Halévy entreprit
un voyage dans le Bourbonnais, où résidait Guillaumin, pour vérifier
s’il s’agissait bien d’un authentique agriculteur. Dans ses
Visites aux paysans du Centre
(Grasset, 1934) Halévy raconte : « J’arrive à l’heure de la traite et
le surprends dans son étable aidant sa jeune femme qui tire le lait des
vaches. Il vient à moi. Quel paysan ! Démarche lente, un rien penchée,
visage immuable et grave ».
Vrai paysan, Émile Guillaumin l’est en effet, avec ses trois hectares
de terre et ses trois vaches, exploitation minuscule alors assez
courante. Daniel Halévy, familier des militants ouvriers parisiens,
grâce aux Universités Populaires, ignorait qu’il pouvait exister dans
les campagnes des travailleurs manuels sachant lire, aimant lire, voire
écrire, et qui luttaient pour l’amélioration de leur condition sociale.
Au début du XXe siècle, les métayers du Bourbonnais se constituaient en
effet en syndicat et Guillaumin sera toute sa vie un militant
-syndicaliste paysan.
À l’exception du service militaire et de la guerre de
1914-1918, Guillaumin vécut toute sa vie à Ygrande (Allier) où il naquit
le 10 novembre 1873 et mourut le 27 septembre 1951. Bien qu’il n’ait
fait que cinq ans d’études dans l’école primaire de son village,
Guillaumin débuta très jeune en littérature et continua à écrire et à
publier pendant toute sa vie se disant « un paysan homme de lettres ».
Son chef-d’œuvre, La vie d’un simple,
n’est pas une autobiographie, mais un vrai roman, document exceptionnel
sur la vie paysanne en France dans la seconde moitié du XIXe siècle.
Guillaumin ne force pas le trait de ses personnages, ne les noircit pas.
Il est discret et, en même temps, son récit tranquille constitue un
terrible réquisitoire. C’est la vérité de ce livre pudique qui fit son
succès et qui lui assure aujourd’hui, un siècle plus tard, sa pérennité.
Michel Ragon
critique et historien de l’art et de l’architecture moderne,
romancier
Source
La Vie d'un simple est un livre qui vient du fond du peuple, chose bien rare, et du fond du peuple paysan, chose unique...
D'un
grand-père conteur d'histoires, Guillaumin tint le goût de conter, et
il eut le courage d'ajouter au labeur paysan un labeur d'écrivain. Le
plus bel exemple d'homme de lettres pratiquant le deuxième métier, c'est
Émile Guillaumin qui le donne...Le Bourbonnais est loin, et la rumeur
parisienne nous distrait d'y connaître et d'y entendre un juste. Mais la
rumeur est chose passagère, la valeur ne passe pas, et Émile Guillaumin
est sûr d'occuper, dans l'histoire de notre peuple, une place où il est
indispensable et seul.
Daniel Halévy.